Oderint [validé]

An 984, Akénia.

Je suis né en plein hiver, dans la prestigieuse ville de Telade, qui était alors recouverte de neige.
Mon père savait qu'il avait fait une erreur en me laissant venir au monde ; un assassin confirmé comme lui connaissait les règles, mais il était arrivé à un âge et il avait rencontré une si jolie jeune femme que ses pulsions l'avaient conduit à m'engendrer et à laisser la vie de ma mère (et la mienne) sauve.

Dans l'apprentissage d'un assassin, mieux vallait ne pas s'attacher à autrui, car si l'on fondait une famille, le sentiment de compassion à l'encontre des autres prenait le dessus et l'on ne pourrait séparer des enfants de leurs parents en les tuant...

Enfin, mon père m'éduqua à sa façon pour que je lui succède, c'est-à-dire loin de ma mère et de tout autre être avec qui j'aurais pu sympathiser. Je fus si bien isolé que je crus que nous étions seuls au monde, mais cette pensée s'effaça vivement de mon esprit lorsque j'eus conscience du but de mon entraînement : tuer. Et qui disait tuer, disait vie...

Je ne connus que de longues heures d'enseignement, transmisent par mon père. Ma seule occupation prenait une telle place dans ma vie que même lorsqu'il s'absentait pour accomplir ses devoirs, je ne relâchais jamais le rythme. Si bien qu'à l'âge de huit ans, je manipulais admirablement bien la dague, l'épée, l'arc, la lance, et possédais quelques notions sur le maniement de l'hallebarde.
Je vivais dans le silence, mon père ne m'autorisant pas à prendre la parole, ni même à haleter d'épuisement : «La discrétion est le plus fidèle allié que tu n'auras jamais», me répétait-il.

Les cinq années qui suivirent m'enseignèrent l'infiltration et la dissimulation, ainsi que la duplicité : je savais faire paraître sur mon visage toute une kyrielle d'expressions, capacité utile et indispensable pour un assassin.

Puis, lorsque j'eus acquis ces compétences, mon père m'initia à son instrument de torture qu'il ne quittait jamais : la Chaîne.
Je m'entrainais pendant trois ans à la lancer, la commander, la manier avec précision et dextérité. Celle-ci s'enroulait autour des arbres et se serrait sur sa cible. «Le moyen le plus sûr pour entraver quelqu'un – ou quelque chose – fils !», s'exclamait mon père. Outre l'effet de coercition, la Chaîne se mettait à brûler et à provoquer des entailles profondes dans le bois. «Mais le plus impressionnant, c'est lorsque tu l'envoie sur un objectif vivant. Le fait qu'il se débatte irrite encore plus la peau déjà bien entâmée, et tu peux escompter à ce qu'il te révèle tout ce que tu souhaites savoir !».

Un an plus tard, alors que la guerre faisait rage, mon père, soucieux du destin de ma mère, m'emmena pour la première fois avec lui.
La femme me parut d'une sensibilité et d'une générosité intense, comparé à mon égocentrisme poussé. Ses cheveux étaient les miens, tandis que mon père les avait bruns, elle, les avait couleur paille.
Notre entrevue dura un long moment ; elle était absorbée dans la contemplation du fils que lui avait créé son amant. Moi, cette présence féminine ne me fit ni chaud ni froid. L'enseignement de mon père portait agréablement ses fruits : je détestais les regards appeurés que ma mère me lançait, et je ne voulais rien faire pour la dissuader que tout danger était écarté.

Tous deux de grands admirateurs de notre souverain, mon père n'était pas seulement venu faire une visite de courtoisie. Il avait eu la demande de tuer Drak Tawan, l'ennemi de notre gouverneur.

Nous nous étions mis tous trois en route, mon père à la recherche de ce Drak et moi, sous ses ordres, j'emmenais ma mère en sûreté.
Par le plus grand des malheurs, nous rencontrâmes l'ennemi et, dans un élan de pure folie, ma mère s'était postée en face de moi.

Drak nous observait de ses yeux rougeoyants et, penchant la tête de côté, nous souriait tout en sortant sa dague.

Je m'étais reculé, entraînant ma mère avec moi, qui ne bougea pas et resta pétrifiée de terreur. Je l'avais alors abandonnée, et m'étais réfugié dans une habitation d'où je pus voir la scène du crime qui ne me donna aucun sentiment.

Drak regardait paisiblement sa victime dans ses yeux bleus. Il approcha sa lame tout prêt de la gorge de la femme et, sous l'effet de cette menace, elle s'était mise à crier. Drak leva un sourcil, comme offenser par cette plainte, et enfonça délicatement et avec le plus de retenue qu'il put, la pointe de sa dague dans sa gorge.
Plus elle disparaissait, couverte d'un fin filet de sang, plus les yeux de ma mère s'écarquillaient.
Son cri se mua en gazouillement, puis Drak l'acheva en retirant promptement sa lame, laissant gicler le sang et la laissant s'effondrer, inerte.

Lorsqu'il avait tourné les yeux vers moi, j'avais apperçu un éclat briller dans le ciel, au niveau de sa taille, et le Vorlandais se retrouva emprisonné dans la Chaîne de mon père. Cet affront lui avait fait ouvrir de grand yeux et, après avoir eu lancé un coup d'oeil vers son adversaire, il avait ri aux éclats.
Je fus surpris que la Chaîne ne lui fît aucun mal et je regardai, avec horreur cette fois, l'assassinat de mon père. Je ne pus retenir mes émotions comme me l'avait appris l'homme avec qui j'avais vécu dix-sept ans. Des larmes coulaient toujours lorsque je m'étais approché de lui et que j'étais tombé à genoux, devant son corps sans vie, alors que le tueur avait déserté l'endroit en un battement de cils.

Essuyant mes larmes, serrant la mâchoire, j'attrapai la Chaîne de mon père qui me revenait de droit, et jurai mort à Drak.

Puis, durant six années, un maître épéiste m'enseigna l'art de l'épée contre quelques écus que je subtilisais sans regret aux passants. Je me procurai même une épée à deux mains, et lorsque je surpassai mon maître, je me décidai à partir puis à retrouver le Vorlanais.


Je savais que seule la ruse en viendrait à bout, c'était pourquoi je sondais désormais les terres d'Akénia, à la recherche d'informations et d'amis de Drak Tawan, dans l'espoir de me porter à sa droite lorsque je lui enfoncerai ma lame dans le coeur...