Il suffit de si peu, pour succomber ! Voir les mains se lier en un serment sans morale, partir dans le délire et laisser la mer nous avaler, happer la raison en vagues titanesque, plié puis rallier les titans d’azur qui recouvrent l’encre de la voûte céleste ! Sentir, les gouttes d’un sel impérissable recouvrir mon visage inaltérable, mes traits d’argile se liquéfier sous la pluie iodée, le vent charrié de tempêtes amener le monde à mes pieds, m’amoindrir puis m’élever, jusqu’au trônes des despotes ailés !
Ah, mais si vous saviez, du peu que le désir nécessite, du peu de nécessité qu’illusionne le désir ! Je tangue, tangue, vacille jusqu’à la chute, la disgrâce éternelle, entends les cloches du trépas, les chaînes des lois, les nuages qui s’effondrent sur moi ! Que suis-je, face aux étendues de Neptune, que ne puis-je, pour briller au stade des étoiles asphyxiées auxquelles il s’est apparenté ? Vivrais-je assez, pour entendre les échos de ma folie dans le Temps lassé ?
Mes doigts se retirèrent de l’eau sablée, se soulevant de la flaque à présent souillée et se dressant vers le soleil destructeur, lançant injure et défi au ciel qui me parjure… Ma tête, allongée sur la pierre carbonisée, qui porte mon regard dépravé vers l’astre ennemi, mes cheveux se mêlant à la mer qui pousse puis retire, apporte et déchaîne, les ailes noires se levant à l’orée du ciel sur les rayons dissous par ma peau blême.
Étendu comme cadavre lancé à la mer, échoué sur l’îlot d’ironie noire, rébellion indistincte à la tyrannie des vagues, je me confesse, aux cieux délurés ! Moi ? Mort ? Que de mots, qu’il m’est inutile d’avouer au cobalt narquois…
Ici, nul de masse où se fondre, nul d’ombre où dénier, alors, ne reste plus que le Dieu éternel où murmurer, chuchoter au vent marin, ses crimes honnis, laisser les vagues absoudre et les nuages absents ignorer, le blasphème dégradé. Ici, nul besoin de fermer les yeux, c’est le ciel qui les ferme sur moi. Le regard divin, aveuglé, le croyez-vous ? Me croirez-vous, quand j’aurai détrôné les dieux…
Da, sans doute pas non.
Mais alors que je suis échoué sur cet îlot de providence, les yeux tournés vers la courbe millénaire d’un astre pourtant vaincu par mes ailes goguenardes, les vagues s’apaisent et se tait le vent mugissant sur les lames turquoises, une voix a résonné. Malédiction d’un dieu mauvais joueur ?
Je relevai brusquement le front, mon sang tachant ma vue et les rochers couverts de mouettes se flouant soudain. Et alors, le tiraillement, l’horizon qui bascule puis frémit sous la poussée de la folie, le monde qui se pare de formidables couleurs, de teintes détestables, le sang qui afflue dans le visage et qui boue au-dedans. Enfer et damnation, je me damnerai pour cette voix là ! Miséricorde, saloperie !
Un sifflement strident qui me vrilla les tympans jusqu’à m’en fêler l’esprit déjà dérangé, les vagues qui rugissent soudain au creux de mes côtes, le vent qui s’engouffre dans les plaies salées. Telle est la dévotion qui se refuse à cette voix !
- Sal…
Pour n’en dire plus ! Bon sang… Je me relevai avec moult chavirements soudain, la main plaquée contre l’oreille. Comme si cela pouvait retenir des notes qui corroderaient l’acier !
Jurant froidement je pris appui et m’envolai, m’engouffrant sur l’air présidant les vagues instables.
* Je t’échappe Neptune, mais nulle inquiétude, Hadès me ramènera à toi des mains d’Arès ! *
Avarice et discorde, ce seront les pêchés de ma fin !
Je filai donc, vers la source de ma première discorde, depuis que j’étais parti pour… Silence et déférence, certains secrets ne devaient être pensés, mentionnés d’autant moins, certains désirs tus, pour se sauvegarder de la pénitence mortelle…
Tss… Que suis-je bête ! Mais cela est vrai, ce que l’on ignore ne nous touche pas, ce que les autres ignore ne touche que nous. Le savoir que l’on impose aux autres est offense ! Et l’on venait de m’inculquer, les prémices d’un savoir trop grand, d’une folie naissante dans une mélodie abjecte !
Je fonçai au ras de l’eau rageuse, et bientôt, vis se profiler l’ombre d’une île mineure, magnifiquement ignorée, mais peuplée, malheureusement désenchantée. Après tout, même les sirènes peuvent être jouet des contes où le mal s’installe…
Je secouai ma tête pour dissiper une esquisse de délire et essayai de reprendre objectivement la situation, les sirènes n’étaient pas FORCEMENT des êtres du mal, et tout n’était pas FORCEMENT ligué contre moi. Forcément.
Qu’en je vis apparaître les femmes des mers, j’en eu… le souffle happé, pétrifié. Ainsi, c’était une déesse, qui était joueuse. Bah, la gloire pour la prochaine fois.
Elle vit, le soleil se voiler, un nuage mauvais couronnant leurs jeux. Je trônai, planant au dessus de leur tête, la cantatrice avait enfin cessé ses vocalises et mes oreilles pouvaient reposer en paix. Je ralentis l’allure et me posai silencieusement sur la pointe d’un rocher, au dessus d’elle. M’asseyant, les genoux sous le menton, j’observai, le silence qu’apportent les ténèbres, une gloire de vie momentanément occultée, quelque chose… de sain délavé et blasé, se dégageant d’une mer balayée de bruits. L’accalmie après le chant d’envoûtement. Je l'observai aussi, étrange et différente, loin du complot humain, peut-on trouver ici, une gloire réfutée par Achille ? Une paix différente de celle d’après guerre…
Injure, blasphème. Les dieux conquérants, n’ont jamais aspiré à cela : le silence. De loin, je vis Deimos revenir avec un poisson dans la gueule, lui aussi, riant, de mon incrédulité. Stupidité.